Avec une population de près de 18’000 personnes, le campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est une ville dans la ville.
Bâtiments, transports, recherche sont autant de secteurs émetteurs de dioxyde de carbone, l’un des principaux contributeurs du réchauffement climatique.
L’école s’est fixé pour objectif de réduire son empreinte carbone pour atteindre la neutralité, via compensations, d'ici à 2030. Elle veut notamment baisser sa consommation d’électricité, limiter les voyages en avion, ainsi que de nombreux autres buts détaillés dans la feuille de route de sa Stratégie climat et durabilité 2030.
Avec plus de 30 restaurants sur le campus, et sans compter les food trucks, pour 1,5 million de repas servis chaque année, l’alimentation représente la troisième source d’émissions de gaz à effet de serre de l’EPFL.
La consommation de viande en est la principale responsable, suivie par le gaspillage. Il pèserait 25% de l’empreinte carbone de l’alimentation.
«Quand on sert plus d’un million de repas chaque année, on ne peut plus se permettre de gaspiller des aliments», assure Bruno Rossignol, responsable restauration et commerces de l’EPFL et chargé du projet EPFL 20-30, vaste programme visant à rendre plus durable l’alimentation de l’école.
Puisqu’on ne peut contrôler que ce qu’on connaît, l’école mesure tout ce qui est gaspillé grâce à des poubelles fonctionnant grâce à l'intelligence artificielle développée par Kitro, une entreprise suisse.
Le gaspillage, personne ne veut le voir. Pas étonnant: les chiffres font mal aux yeux. «Aujourd’hui dans le monde, 47% de ce qui pousse dans les champs est jeté», assure Bruno Rossignol.
En Suisse, près de 2,7 millions de tonnes de produits parfaitement comestibles sont gaspillées chaque année, soit 330 kilos par personne et par an. Les pertes arrivent à chaque étape, du champ à l’assiette.
Outre le gâchis brut de denrées comestibles, cela entraîne des émissions de CO2 inutiles. Le gaspillage représente 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est aussi un gâchis de ressources (eau, terres agricoles…), de biodiversité, de temps et d’argent.
Le système Kitro se compose d’une balance sur laquelle est posée la poubelle, ainsi que d’un appareil photo situé au-dessus
Dès qu’un aliment est jeté, la balance met à jour le poids et déclenche la prise d’une photo par l’appareil.
Chaque image sera ensuite analysée par un algorithme de machine learning (une application de l’IA), permettant de déterminer le type d'aliment jeté.
Ces algorithmes ont été entraînés sur des centaines de milliers d'images et atteignent un taux de reconnaissance de 96%.
«Grâce aux mesures effectuées, notre solution permet de mesurer, puis de réduire, le gaspillage alimentaire», résume Noélie Gabioud, food waste consultant de Kitro auprès de l’EPFL.
Avec cet outil, l’EPFL et Kitro savent exactement ce qui est jeté, en quelle quantité, à quel endroit et à quelle heure. Exemple, les trois aliments les plus gaspillés en 2023 sont le riz, les pâtes et le pain.
Et ce n’est pas tout. En 2019, les mesures ont permis de déduire que chaque assiette débarrassée contenait en moyenne 50 grammes de nourriture gaspillée.
L’école en a tiré plusieurs leçons. Elle a constaté que les restaurants achetaient beaucoup trop de nourriture, par peur de manquer. Les portions sont désormais pesées à 450 grammes (il est possible de se resservir), et les horaires des services sont resserrés. Les cuisiniers ont été sensibilisés.
Mieux, elle peut croiser ces données avec les achats, et les menus servis, pour comprendre ce qui a mené les aliments à la poubelle. «Il est important d’étudier toute la chaîne, de l’approvisionnement jusqu’à l’assiette débarrassée, afin de savoir sur quels points agir», rappelle Noélie Gabioud.
Et ça fonctionne. Aujourd’hui, grâce aux poubelles intelligentes, les restaurants ne jettent plus que 22 grammes par assiette. En comparaison, sur des paquebots de croisière, les buffets à volonté peuvent entraîner jusqu’à 500 grammes de gaspillage par assiette.
L’objectif, d’ici à 2030, est d’arriver à… 7 grammes! «C’est ambitieux, mais c’est le chiffre à atteindre pour respecter les Accords de Paris», rappelle Bruno Rossignol, pour qui «la valeur ajoutée de ce système, c’est cette reconnaissance automatique. Sans intelligence artificielle, on n’y serait jamais parvenus».
Ce dernier s’est en outre engagé à réduire l’empreinte carbone totale de l’alimentation de 40% d’ici à 2030. «Ce ne sera pas facile. Mais on va y arriver», conclut-il.